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Titel
Héritages coloniaux. Les Suisses d'Algérie


Autor(en)
Fois, Marisa
Erschienen
Zurich 2021: Seismo Verlag
Anzahl Seiten
184 S.
Preis
CHF 34.00
von
Raphaëlle Ruppen Coutaz, Université de Lausanne

Fondé sur des recherches menées dans le cadre d’un projet financé par le FNS1 et publié en open access, cet ouvrage contribue à revisiter l’histoire européenne de la (dé)colonisation à travers l’étude de la Cinquième Suisse et en mettant l’accent sur les migrations engendrées par ces phénomènes. Participant au rectificatif de l’image d’une Suisse sans passé colonial, Marisa Fois se penche sur l’implication des autorités fédérales et des Suisses2 dans les processus coloniaux en Algérie, sous régime colonial français de 1930 à 1962.

Composé de cinq chapitres, cet ouvrage suit une trame chronologique. À l’imprégnation de la pensée impérialiste s’ajoute, au début du XXe siècle, dans un contexte marqué par la montée des nationalismes, la constitution d’un imaginaire collectif positif autour de la population helvétique établie à l’étranger (chapitre 1). Dès le milieu du XIXe siècle, une «colonie» suisse se développe en Algérie, dans le sillage des activités menées par la Compagnie genevoise des colonies suisses de Sétif. Dans sa stratégie de peuplement, le gouvernement français encourage les Suisses à s’installer en Algérie, si bien que cette destination devient, au milieu du XXe siècle, le deuxième pays d’Afrique où la diaspora suisse est la plus nombreuse (chapitre 2). Marisa Fois rappelle ainsi qu’à côté des contributions et investissements économiques, la Suisse offre aussi des ressources humaines essentielles à la conquête coloniale. Avec la guerre de libération nationale qui démarre en novembre 1954, la présence des Européens est remise en cause. Malgré les recommandations de départ, un rapatriement officiel ne sera jamais mis sur pied par la Confédération (chapitre 3). La diplomatie menée par les autorités, les mesures de protection prises sur place et la constitution finalement d’un fonds de solidarité, en 1958, par la Nouvelle Société Helvétique ne suffisent pas à retenir les Suisses installés en Algérie. Ces derniers ne se sentent pas soutenus par leur pays d’origine qui mène une politique trop pro-algérienne à leur goût. «[P]erçus comme des colonisateurs» (p. 82), ils sont de plus en plus nombreux à quitter définitivement leur pays d’adoption. Marisa Fois montre ensuite très bien à quel point le fossé entre la Cinquième Suisse, pourtant objet de célébrations dès l’entre-deux-guerres, et la Suisse officielle se creuse après le retour (chapitre 4). L’épineuse question de l’indemnisation des biens nationalisés occupe, certes, passablement les autorités suisses, mais celles-ci ne souhaitent pas pour autant mettre en danger les relations bilatérales avec les nouvelles autorités algériennes. Les négociations menées avec la France échouent aussi. C’est dans un contexte totalement différent de celui de l’entredeux-guerres, marqué par les initiatives xénophobes Schwarzenbach et dans lequel les expatriés de retour ne reçoivent pas l’accueil espéré, que l’Association des Suisses spoliés d’Algérie ou d’outre-mer (l’ASSAOM) est créée, le 28 janvier 1967, à Genève. Porte-parole des spoliés, ce «groupe de pression» (p. 130) cherche à obtenir, sans grand succès comme le montre Marisa Fois, le soutien de l’opinion publique, en plus des ressources pour réparer et indemniser les préjudices, ainsi que des mesures susceptibles de faciliter leur réintégration dans la société suisse. Le dernier chapitre, qui constitue la partie la plus inédite de l’ouvrage (chapitre 5), se concentre sur l’histoire de cette Association et, un peu plus largement, sur l’histoire des associations de rapatriés. En s’intéressant aux histoires personnelles de ces Suisses spoliés et à l’identité collective, ainsi qu’à la mémoire, qu’ils cherchent à reconstruire en commun, l’auteure apporte un éclairage nouveau sur l’histoire de la migration de retour des rapatriés helvétiques. À la marge de l’histoire officielle, cette réflexion constitue un apport original à l’histoire de la Cinquième Suisse et de ses relations avec les autorités. Cependant, plusieurs zones d’ombre persistent au sujet de l’histoire de cette diaspora et de cette Association. Marisa Fois donne quelques indications sur des dirigeants de l’ASSAOM, mais dit très peu de choses de ses membres. Qui sont-ils? Quelles étaient leurs activités en Algérie? Ont-ils recréé en Suisse des sociabilités qui existaient déjà en Algérie? Dans quelle mesure ont-ils participé aux violences coloniales? Quelles professions exercent-ils à leur retour? Quelle place les femmes occupent-elles dans cette Association? Est-on vraiment en présence d’un groupe avec une identité commune ou s’agit-il davantage d’une communauté imaginée? Quel est le poids de cette Association au regard d’autres structures associatives comme la Confédération européenne des spoliés d’outre-mer (CESOM) ou l’Organisation des Suisses de l’étranger? Le sort réservé aux Suisses d’Algérie est-il vraiment moins bon que celui réservé aux ressortissants d’autres colonies, comme les représentants de l’ASSAOM le déplorent? Marisa Fois tient à redonner «la parole» aux acteurs de l’époque, en les citant abondamment, mais elle thématise finalement assez peu la question des particularités propres à la diaspora helvétique, comme son hétérogénéité culturelle et linguistique, ainsi que le caractère binational de près de la moitié des Suisses installés en Algérie. Même si l’appétit du lecteur n’est pas totalement comblé, Marisa Fois atteint son objectif en apportant une pierre significative au débat académique et public, très vivant ces dernières années, sur le rapport qu’entretient la Suisse à son passé colonial. Dans le prolongement de cette réflexion, elle a également participé à la publication, en 2022 chez Seismo, d’une bande dessinée tirée de ses recherches: «Au revoir Algérie».

Notes:
1 Projet FNS dirigé par Sandro Cattacin et Stefanie Prezioso: «Suisse et décolonisation: le cas de l’Association des Suisses spoliés d’Algérie ou d’outre-mer (ASSAOM)».
2 A dessein, seul le masculin est mentionné ici tant les femmes sont les grandes absentes del’histoire qui est retracée dans cet ouvrage.

Zitierweise:
Ruppen Coutaz, Raphaëlle: Rezension zu: Fois, Marisa: Héritages coloniaux. Les Suisses d’Algérie, Zurich 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(2), 2023, S. 228-230. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00127>.